120 • monuments

La pierre a toujours raconté des récits. Les monuments qu’on y a ciselés, les traces qu’on y a laissées. Les bâtiments habités le temps d’un battement ou d’une civilisation. Autant d’empreintes qui esquissent des entrelacs de langages. Pour qui sait les décrypter. Tendre l’oreille pour entendre les soules gigantesques.

Aujourd’hui, nos édications témoignent souvent d’un rapport complexe à la nature. Comment traduire celle-ci en l’érigeant comme monument ? Que disent les Babel, les archives, les temples ancestraux ? Qu’avons-nous oublié, rendu invisible, en construisant ?

Le monument s’inscrit dans des temporalités multiples, tels les cernes de croissance de l’arbre, qui relatent tantôt l’enfance, tantôt l’adolescence, puis les années matures. Décennies passées, présentes et à venir se déposent sur lui, le sculptent. Le mouvement se déploie en spirales autour de son socle, jusqu’à ce que le territoire devienne, lui aussi, monument. À travers le temps, les temps, il collectionne les contemplations. L’extase, le dédain, l’indiérence quelquefois. Une variété de réactions. Car comment admirer chacune des constructions qui pavent nos parcours en vivant jour après jour dans un immense jardin de monuments ?

Simultanément fragile et féroce, le monument invite à une opération à cœur ouvert dans ses strates matérielles et symboliques. À une autopsie en règle. Jusqu’au contre-monument ? Parfois. Certaines créations prennent forcément le contrepied de l’éternité.

Auteurs, autrices et artistes investissent ses veines séculaires, arpentent des labyrinthes dont les parois s’effritent, sous leur passage, en une poussière semblable à une respiration. Ils et elles saisissent ces tombeaux, dans leurs sens multiples, jusqu’à incarner parfois une forme musicale, pour les ouvrir aux quatre vents et aux tempêtes. Autant de mausolées et d’horizons inédits qui conviennent à l’autre, aux expériences, au creux des mots, des œuvres. À une archéologie atypique. Une invitation à tendre de nouveau l’oreille, après Babel.