hospitalités ; carnets numériques et sonores,
2025
Mot du Sabord
Dans le cadre de sa résidence numérique, l’autrice et artiste visuelle Sarah Boutin investit différentes formes d’accompagnement bienfaisant afin d’explorer les façons de prendre soin à la fois de personnes, de choses et d’environnements. Du 17 février au 17 avril 2025, elle a réfléchi à l’expérience de l’accueil. Intégrer le quotidien de l’autre dans les actions banales : cueillir, discuter, cuisiner, manger.
L’œuvre Prendre repos par les paupières se divise en deux volets :
Entre chaque image fermons les yeux est une invitation à se promener en cinq lieux – 458-7 chez Marilu, 10 chez Geneviève, 24 chez Giada, 493 chez les moines et 1 à la Villa Sainte-Scholastique. Chacun d’entre eux s’ouvre sur une esthétique poétique et photographique particulière, fondée sur la relation qui se tisse dans les gestes simples, rituels du repas, qui nourrit à la fois le corps, l’esprit, le lien interpersonnel.
Entre chaque phrase fermons les yeux prend corps à travers le croisement d’entretiens menés auprès d’une religieuse, d’une éditrice, d’une psychologue et d’une psychiatre, soit quatre femmes œuvrant dans la relation d’accompagnement. La diffusion audio du résultat de ces échanges permet de toucher à l’intention et à l’ouverture dans la voix, à la réflexion en train de se produire.
Prendre repos par les paupières est une invitation à fermer les yeux pour à la fois détendre le visage et affûter l’attention sur les petites beautés et bontés qui surviennent, dans la solitude comme dans l’accompagnement; à approfondir sa présence à soi et au monde. L’œuvre est une promesse d’errance en différents lieux, différentes voix, pour aller à la rencontre des cultures de l’accueil et du recueillement.
– S. B.
Sarah Boutin est une autrice, artiste visuelle et chercheuse qui s’intéresse à ce qui rend possible l’apprivoisement des récits fantomatiques dont nos corps sont peuplés. Son travail prend des formes hybrides où performance, photographie et poésie se rencontrent. Elle appelle sa démarche « prière », car elle est portée par un souffle qui tend à communier avec ce qui ne parle pas tout à fait comme nous. Elle a reçu la première mention du jury au prix de poésie Geneviève-Amyot en 2024 ainsi que le Prix du public ‒ Moebius 2022. Son recueil Prendre fin a été publié aux éditions Pièce jointe (2021). Son travail visuel a été présenté entre autres au Yeast Photo Festival (Italie, 2024), aux Rencontres de la photographie en Gaspésie, à la Maison de la littérature de Québec et à la Place des arts (Montréal).
J’investis différentes formes d’accompagnement bienfaisant que les humain·e·s se prodiguent entre elles et eux, et prodiguent au monde. Je me demande quelles actions concrètes on met en œuvre pour prendre soin d’un être, d’une chose, d’un environnement, et quels sont les mouvements intérieurs préalables – empathie, communication, communion – qui en sont à l’origine.
Pendant plus d’un an, chez moi comme à l’étranger, je recense des moments de partage informels – lorsque je suis reçue chez une amie ou lorsque je suis hébergée chez des femmes avec lesquelles j’effectue des tâches quotidiennes qui favorisent la proximité – et des lieux qui sont faits pour offrir du repos – les maisons de répit tenues par les religieuses.
Une personne – une hôtesse, sa sœur, une religieuse, une collègue qui, dans l’espace intime, deviennent rapidement des amies – m’ouvre la porte de sa maison, de son jardin. Avec elle, je cueille ce que nous allons préparer pour le repas du soir, la pénombre enveloppe la table bien mise, les bruits d’insectes prennent part à nos conversations. En acceptant d’être reçue, je revendique que nos corps ont besoin d’espaces pour se rencontrer, pour se déposer, pour se détendre. J’émets l’hypothèse que l’hospitalité favorise l’humilité et accroît notre capacité à vivre ensemble. Entre chaque image fermons les yeux est un agencement d’images photographiques et de poèmes qui en garde la trace.
Présentée sous forme sonore, Entre chaque phrase fermons les yeux est une compilation d’entretiens avec des intervenantes – une religieuse, une éditrice, une psychologue, une psychiatre – dont la quête ou le métier est d’accompagner. Ces femmes que j’ai questionnées se passent de prédispositions d’affinités, mais leurs pratiques d’accompagnement constituent une sorte de connivence. En présence l’une de l’autre, leurs interventions par échos se répondent, s’éclairent, se renchérissent, se nourrissent.
Le désir de mettre en relation ces pratiques prend racine dans un séjour au couvent des Sœurs de la Charité de Québec, où j’ai été accueillie à la suite du décès de ma grand-mère par sœur Jacqueline, son amie d’enfance. Cumulativement, ce sont les expériences de la mort, de l’esseulement induit par le deuil, et de la pratique de l’écriture que je lui ai dédiée qui m’ont fait prendre conscience, existentiellement, de la fragilité de nos corps. J’ai compris la nécessité de se doter d’espaces pour prendre soin de la vulnérabilité intrinsèque à notre humanité. L’accueil que m’ont fait les religieuses m’a donné à sentir que d’apprivoiser la mort, d’incarner sereinement le deuil ou de pouvoir écrire avec transparence ne se fait pas en solitaire. En bref, l’accompagnement est essentiel pour (se) soigner.
Pour respecter l’esprit de collaboration que j’ai rencontré, j’ai élargi mes réflexions personnelles et les ai nourries par le dialogue. Par ce projet audio, je souhaite que nous nous demandions ensemble : aujourd’hui, quels sont les espaces qui promettent de nous secourir et de nous soutenir ? Qu’est-ce que le couvent contemporain ?
J’espère que cette mise en commun inspirera des manières d’accueillir les phénomènes de la vie intérieure – dont le deuil ou l’élan créateur sont des exemples – de sorte que nous puissions les approcher avec sagesse et les apprivoiser. Il me ferait grand plaisir que ce projet suscite des conversations sur les qualités régénérantes et les aspects bienfaiteurs offerts par les liens aux autres (le voisinage, les ami·e·s, etc.), mais aussi à la culture (les œuvres d’art, les festivals, etc.) et à la nature (le jardin, les terres agricoles, le bord de l’eau, etc.).