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Archiver le futur
Simon Brown, Isabelle Gagné, Gabriel Mondor, Maude Pilon

Exposition collective issue d'une résidence au Sabord
2025

À propos
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Mot du Sabord

En 2023, pour ses 40 ans, Le Sabord a invité en résidence quatre artistes pour créer une exposition à partir de ses archives. À la suite de leur fouille approfondie des documents conservés aux bureaux de l’organisme, Simon Brown, Isabelle Gagné, Gabriel Mondor et Maude Pilon ont revisité le potentiel créatif que recèlent les traces laissées. Ils et elles ont révélé, par les gestes créateurs de l’annotation, du commentaire, de la transcription, de la réorganisation, de l’écoute – voire de la combustion et de la contamination –, une autre façon d’envisager le legs matériel. Ainsi, l’exposition Archiver le futur : re-documenter par la marge et le transitoire (Galerie d’art du Parc, 2023) a révélé que l’histoire de la revue n’est en rien monolithique : elle est constituée de multiples perspectives selon l’équipe en place, qui, à un moment précis, a formé identité du Sabord et son récit qui traverse les époques.

De la même manière, l’évolution des œuvres exposées en galerie – installations, pièces sonores, art imprimé, etc. – en œuvres numériques révèle à son tour la malléabilité de l’histoire, de ce qui la compose et la fige (jamais tout à fait). Opérée durant une seconde résidence de création en mai 2025, cette transmutation des créations reconduit le questionnement du geste archivistique, de ce qu’il reste à classer, à préserver, mais également à vouloir et à ouvrir.

 

A.M.D

 


 

Biographie des artistes

Simon Brown est poète, traducteur et artiste interdisciplinaire originaire du sud-ouest du Nouveau-Brunswick (territoire traditionnel peskotomuhkati) et vivant en Chaudière-Appalaches, au Québec (territoire traditionnel wendat et abénakis). Il crée et présente son travail – parfois en solo, parfois en collectif – dans de nombreux contextes : œuvres multimédias, pièces sonores, performances in situ, lectures expérimentales, opérettes, revues littéraires, zines, livres d’artiste, chapbooks et recueils de poésie. Ses œuvres ont été présentées au Mois Multi (Québec), à Québec en toutes lettres (Québec), à Viva Art Action (Montréal), à la Fonderie Darling (Montréal), au Banff Centre (Banff), au Centre international de poésie (Marseille) et au Festival Frye (Moncton), entre autres. simonbrown.ca

 

Isabelle Gagné est une artiste multimédia utilisant le geste photographique et divers langages numériques. Pionnière de l’art mobile, elle a également été cofondatrice du Mouvement Art Mobile (MAM). Au Canada comme à l’étranger, son travail a fait l’objet d’importantes expositions individuelles et collectives, notamment à l’occasion du Mois de la photo de Montréal (Momenta) et des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie, ainsi qu’à Sporobole dans le cadre d’Espace [IM] Média, à Ada X et dans diverses institutions culturelles, dont l’Assemblée nationale du Québec. En 2024, elle est nommée Artiste de l’année pour la région des Laurentides par le Conseil des arts et des lettres du Québec.

 

Artiste de la relève, Gabriel Mondor détient deux baccalauréats en arts visuels de l’UQTR (2020 et 2022). Son travail académique lui a valu plusieurs bourses et, depuis, il a participé à de nombreuses expositions, ici et à l’international. Grandement impliqué dans sa communauté, Gabriel Mondor est membre actif de deux centres d’artistes autogérés. Sa démarche interroge les disciplines artistiques de manière à élargir les limites des catégories à la lumière de leurs spécificités techniques, du contexte contemporain et des transformations technologiques actuelles.

 

Maude Pilon est écrivaine et manœuvre dans divers contextes collaboratif, scolaire, syndical, médical et artistique. Ses textes prennent la forme de livres, de lectures arrangées, d’enregistrements, d’objets imprimés et de contributions à la recherche-création publiés chez des éditeurs et en revue. À midi, une joie est son plus récent ouvrage paru aux Herbes rouges (2024) et a d’ailleurs fait l’objet de la rubrique « Ancrages » du Sabord (no 128).

 


 

Table ronde sur l’exposition

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Que peut-on archiver du futur ?

par Noémie Fortin

 

Présentée à l’occasion du 40ᵉ anniversaire du Sabord en 2023, l’exposition Archiver le futur dépasse les limites de la publication pour matérialiser une réflexion sur la mémoire, les archives et leur devenir à travers une série d’installations. Portant plus qu’un simple regard rétrospectif, la revue a invité quatre artistes à s’engager dans une conversation entre son passé et ses futurs possibles. Rassemblées au troisième étage de la Galerie du Parc, les œuvres d’Isabelle Gagné, Gabriel Mondor, Maude Pilon et Simon Brown sondent ce qui reste des archives, mais aussi ce qui se perd ou se transforme dans les processus de conservation et de création.

 

Que transmet une revue culturelle au-delà de ses pages ? Que se rappelle-t-on de ce qui n’a jamais été publié ? Où sont classés les textes refusés ? Comment le passage du temps et des gens s’inscrit-il dans l’histoire du Sabord ? Ces questionnements traversent l’espace d’exposition où les œuvres, chacune élaborée lors de résidences d’incubation à même les archives, font émerger des éléments qui y sont enfouis afin de les recomposer en nouveaux récits.

 

Quand la destruction fait mémoire

À l’entrée de la galerie, l’installation de Gabriel Mondor s’inscrit dans une tension entre disparition et transmission. Cinq foyers en métal y recueillent les fragments carbonisés de numéros du périodique, accompagnés d’autant de voix racontant leur passage au Sabord. Le feu, symbole de destruction, devient un vecteur de mémoire. Les cendres des pages s’élèvent, dans un sens métaphorique, par la parole et les souvenirs captés lors d’entretiens que l’artiste a effectués avec des figures ayant marqué l’histoire de la revue. Alors que les mots imprimés se perdent dans les flammes, les récits oraux résistent à l’effacement, rappelant au passage que toute forme de reconstitution contient aussi une forme d’oubli, une perte partielle des récits originaux.

 

La vie insoupçonnée des documents

Chez Isabelle Gagné, la trace mémorielle prend une tout autre forme. Dans une installation qui évoque un laboratoire futuriste, elle réveille les moisissures et bactéries dormantes trouvées sur les archives physiques. Elle en extirpe également des images qui servent de support à la culture bactérienne et fongique, transformant ce qui est perçu comme une menace pour les documents et leur préservation en une matière à création. Aux côtés de cette matérialisation de l’invisible, une œuvre en réalité augmentée reconstitue une pile de boîtes d’archives détruites juste après leur numérisation. L’artiste explore ainsi une mémoire non textuelle, portée par la matière vivante et les formes disparues. Oscillant entre le tangible et le virtuel, son travail soulève des questions sur la conservation, la perte et la rémanence des objets archivés.

 

Dans les marges et entre les lignes

Les œuvres des artistes littéraires Simon Brown et Maude Pilon s’attardent, quant à elles, aux interstices et aux non-dits. Dans leurs pièces textuelles, sonores et visuelles, des fragments d’archives se rencontrent et se recomposent entre les piles de revues qui s’élèvent sur les socles et de grandes lettres apposées au mur, découpées dans le carton des boîtes d’archives. S’intéressant à ce que l’on perd d’une histoire en la racontant, aux tensions et décalages qui existent entre la trace et la mémoire, iels coécrivent une série de poèmes qui recontextualisent les lettres de refus et les commentaires éditoriaux laissés en marge de textes publiés.

 

Leur approche fragmentaire explore ce qui existe entre les lignes, dans les espaces vides et derrière les omissions. Simon Brown joue avec les correspondances éditoriales en les réinterprétant à travers un prisme incantatoire où les mots, à force de répétition et de réécriture, acquièrent une force nouvelle.

 

Maude Pilon, de son côté, dévoile la trame graphique des publicités qui ponctuaient les premières éditions de la revue en la libérant d’une fonction utilitaire pour l’inscrire dans un dialogue esthétique avec le reste des œuvres. En traçant les contours, sans les remplir, et en évitant de combler les trous pour au contraire les accentuer, iels montrent ce que les archives cachent autant que ce qu’elles dévoilent.

 

Un futur pour l’archive

Archiver le futur ne se limite donc pas à souligner les 40 ans du Sabord. Elle interroge ce que nous faisons de nos histoires, de nos traces, de notre mémoire collective. À travers les œuvres et les récits qu’elle génère, l’exposition démontre que l’archive n’est pas un lieu figé, mais un terrain fertile où passé et futur s’entrelacent. Elle dépasse ainsi la célébration commémorative pour devenir un acte de transmission ouvert, pluriel et résolument vivant.

 

Dans ce cadre, l’exposition elle-même devient autoréférentielle. Non seulement elle puise dans quatre décennies d’histoire, mais elle inscrit sa propre empreinte dans le temps en insérant la documentation de sa réalisation dans des chemises présentées sur place. Par ce geste autoréflexif, la revue se projette déjà dans le futur tout en assumant les pertes et les transformations inhérentes au processus. Cette stratification mémorielle remet en question le rôle de l’archive : que préserve-t-on, que laisse-t-on disparaître, et comment ces choix façonnent-ils notre regard sur une histoire en constante reconfiguration ?

Finalement, ce texte s’inscrit à son tour dans cet effort d’archivage. Il en prolonge les questionnements, tout en y ajoutant une autre perspective critique et subjective : la mienne. Si l’exposition propose une réarticulation des archives en œuvres d’art, mon texte en constitue une nouvelle mise en récit, un écho, qui participe à la mémoire vivante du projet. Il n’en reste pas moins que toute relecture engendre inévitablement une part de perte. Que restera-t-il des archives du Sabord, une fois traduites en installations, puis reformulées en mots ? Qu’est-ce qui subsistera après l’exposition ? Ces quelques lignes deviendront-elles, à leur tour, un souvenir à revisiter ?

EST-CE VOULU ? 

Simon Brown
Récit documentaire, langage HTML, hyperliens
2025


EST-CE VOULU ?  est un récit documentaire présenté sous forme de page Web « classique » en langage HTML. Il raconte l’histoire d’une œuvre textuelle de Maude Pilon et Simon Brown, conçue à l’origine pour l’exposition de groupe Archiver le futur, en 2023. Cette œuvre était constituée d’une courte phrase (« EST-CE VOULU ? ») écrite en caractères grand format (environ 15 po x 30 po par caractère) fabriqués à partir de carton recyclé provenant de boîtes d’archives retrouvées dans l’entrepôt du Sabord. À la suite à l’exposition, une membre de l’équipe a jeté par mégarde l’œuvre en question. Ce texte représente une tentative volontairement maladroite de mettre en récit sa courte vie, et, d’une certaine manière, de la ramener de la mort.

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Reste(s) à classer

Isabelle Gagné
Œuvre hypermédiatique
2025


Issu des résidus matériels et numériques des projets Mémoires vivantes et Ce qu’il reste, l’œuvre Reste(s) à classer prend la forme d’un carnet hypermédiatique où fragments visuels, traces biologiques et artefacts textuels sont remixés. En fouillant ses propres archives, Isabelle Gagné crée un espace de mémoire traversé par les résidus mémoriels, l’effacement et le glitch. Cette composition numérique évoque la transmission de récits, qu’ils soient organiques ou numériques, et explore la corrélation entre l’archive, le vivant et l’oubli.

*Les textes de l’œuvre sont tirés de la numérisation des procès-verbaux de l'organisme. Aucune intervention n'a été apportée.

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Ouvertures pratiquées à même les parois plombées de nos vies-coques

Gabriel Mondor
Œuvre hypermédiatique
2025


Le projet Ouvertures pratiquées à même les parois plombées de nos vies-coques porte sur le contexte dialogique entre la littérature et les arts visuels que Le Sabord crée depuis plus de 40 ans. Avec l’oxymore titulaire de l’exposition Archiver le futur, Gabriel Mondor a rêvé d’un projet rassemblant autrement la famille littéraire et visuelle, cette fois-ci autour de l’acte éphémère de la transmission orale. Ainsi, il a voulu altérer la matérialité de la revue afin de concentrer l’œuvre sur les personnes ayant vécu Le Sabord de l’intérieur; des personnes qui l’ont fondé, puis pérennisé en transformant l’écrit en paroles et le visuel en cendres, partagées autour de feux extérieurs.

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Cet espace pourrait être le vôtre

Maude Pilon
Livre, recherche et création littéraire et visuelle, arts imprimés, art sonore
2025


Le livret imprimé de Maude constitue un acte de résistance à la dématérialisation des expériences sensibles à l’ère numérique. Réalisé – paradoxalement et volontairement – dans le contexte d’une résidence de création numérique suivant une première résidence dans les archives matérielles du Sabord, ce livret calque sa forme sur le premier numéro de la revue et contient plusieurs textes : une collection descriptive de quelques trouvailles banales et fabuleuses extraites des boîtes d’archives, un arrêt sur le premier numéro de la revue trifluvienne et sur ses premiers éditoriaux afin d’analyser sa modernité et sa position excentrée au début des années 1980, puis, enfin, une série d’images en hommage aux publicités des commanditaires ayant soutenu Le Sabord avant que la revue ne soit subventionnée.

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